Le mot #50 : twittérature

par Nina Derai | le 15 avril 2016

Il existe des mots qui échappent au processus de création, les onomatopées. Ils éclosent de notre perception acoustique, comme si de rien n’était. Un « tweet » exprime un pépiement d’oiseaux, leurs gazouillis – bon, le français manque de sexitude de temps à autre. A l’image de son nom, Twitter, le célèbre réseau social créé en mars 2006, proposait l’expression spontanée d’une pensée, ou plutôt d’un ressenti, selon l’actualité ou l’humeur du jour.

Afin d’embrasser le moment présent, cette nécessité de légèreté, symbolisée par la  limitation de 140 caractères par message, excluait tout travail artistique. Un tweet se déguste comme un hors d’œuvre.

Stimulée par cette contrainte nouvelle, la littérature s’est discrètement infiltrée dans la twittosphère. A coup de maximes, d’aphorismes et de nanofictions, les twitterateurs explorent cette forme d’écriture. Des expérimentations littéraires semblables à celles de L’OuLiPo, l’Ouvroir de Littérature Potentielle, surgirent de quelque part, introduisant la lenteur de la recherche stylistique au sein du réseau social instantané. La Twitterature s’épanouit à contretemps, et s’institutionnalise carrément grâce à l’Institut de Twittérature Comparée (ITC). Cette association francophone entre Québec et Bordeaux anime le bouillonnement des twitterateurs, stimule leur fougue créatrice avec des concours et des festivals.

Depuis que le PDG de Twitter, Jack Dorsey, a annoncé qu’il envisageait de supprimer la limite des 140 caractères, la Twitterature connaît sa première crise. Sans cette contrainte stylistique, peut-elle perdurer?

S’éloigner du chant pour se rapprocher des gazouillis, entendre les lecteurs et se confondre avec eux pour créer un grand bruit commun, vivant, pondre des messages insensés par caprice, voici le propre de la twitterature. Peut-être que cette absence de contraintes la déstabilisera, mais elle surfe sur l’incertitude depuis dix ans déjà.

Sa véritable fragilité réside dans sa dépendance à Twitter, son support. S’il disparaissait, elle demeurerait dans l’oubli, comme des paroles sans musique, un scénario sans caméra, un sourire sans crémière. Surtout que l’ambiance n’est pas au beau fixe. Début 2016, l’action de Twitter a chuté de 33%  par rapport à l’année 2015, les membres de l’équipe dirigeante se font la malle… Et tout le reste n’est que twitterature.

 the-birds_2105331iCrédit photo:

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